« Chrysalde:
Si n’être point cocu vous semble un si grand bien,
Ne vous point marier en est le vrai moyen. »
Molière, L’école des femmes, Acte
V Scène 9
Ce conseil emprunt d’une
sournoise ironie de Chrysalde à un Arnolphe qui se voit ravir Agnès par un
jeune amant (Horace) est révélateur d’un état d’esprit assez couramment
partagé : à ne rien faire, nous ne risquons rien.
Les partisans de l’aphorisme inverse vous répondraient qu’une telle inanité
est plus douce que les tourments dans lesquels l’action vous plonge.
Si nous cherchions un juste milieu nous tomberions sur La Blessure amoureuse. Essai sur la liberté affective du philosophe
Alain Cugno.
Décortiquant les sentiments amoureux, cet ouvrage aborde un sujet sur
lequel tant de banalité ont déjà été dites.
« Je t’aime mon amour sur la plage à mourir » déclare Renaud en
plein concert pour se moquer de ces chansons à l’eau de rose.
Voilà pourtant un livre qui mène un travail si ce n’est pédagogique, du
moins inédit de verbalisation – ou plutôt d’écriture - de nos sentiments, que nous avons
nous-mêmes bien souvent du mal à comprendre et analyser.
Le philosophe Alain Cugno pose simplement la question « Que voit-on quand on voit celle qu’on aime ? » et y répond ainsi :
« En regardant celle que j’aime je vois ce qu’elle
verrait si elle pouvait se voir, mais elle ne se voit pas. »
Aimer c’est donc voir.
« Il n’y a pas de personnes
aimables et d’autres qui ne le sont pas, tout dépend de ce que nous voyons d’elles »
Voilà qui réchauffe le cœur !
Pourtant, loin des violons des comédies romantiques et fidèle à son titre
(et à la réalité !), il appréhende bien sûr les sujets épineux des
blessures amoureuses. Ces cas où l’on se sent bien seul à voir, où l’on (ou
l’autre) s’arrête de voir, ces cas de « passions malheureuses »
telles qu’il les appelle. Il ne se contente pas de mettre des mots sur les
méandres de sentiments. Il tente et propose une issue au piège de la passion
malheureuse :
« Trouver une issue signifie
donc la possibilité de quitter l’endroit où l’on a été blessé (…) sans rien
perdre de l’attente du prodige escompté et sans pour autant l’attendre.
»
Cette lecture, loin de nous donner le mode d’emploi, nous donne donc des
clefs et nous éclaire sur le mystère de la fameuse alchimie du coup de foudre.
Il est en tout cas certain que l’auteur nous donne envie de laisser parler Chrysalde et de dire plutôt avec
Perdican (On ne badine pas avec l’amour,
Alfred de Musset, Acte II, scène 5) :
« J'ai souffert souvent, je me
suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu et non pas un
être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »
Et en guise de tarte à la crème sur ce thème ...
La Blessure amoureuse. Essai sur la liberté affective, Alain Cugno, Seuil, 2004, 18€
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